Confidence Livresque 12 : Renseignements généraux.

Comme toujours lorsque je me lance dans l’élaboration d’un roman, le jour où j’ai commencé à travailler sur Le Rasoir d’Ockham, j’ai entrepris de me documenter sur le métier de mon héros, Ari Mackenzie, à savoir : le métier d’analyste au sein de ce qu’on appelait à l’époque les Renseignements Généraux (aujourd’hui la DGSI)… C’était mon premier roman dans l’univers des services secrets et, comme je n’y connaissais pas grand’chose, il a fallu aller loin ! Alors moi, bille en tête, et comme je le faisais toujours, j’ai décidé d’aller chercher les infos à la source. J’ai décroché mon téléphone, et sans me dégonfler j’ai appelé le standard des RG ! Oui.

Imaginez la scène :

— Bonjour, ici Henri Lœvenbruck. Je suis écrivain et j’ai besoin d’informations sur vos services. Pourriez-vous me passer quelqu’un en charge de la communication ?
— Euh (long silence)… Ne quittez pas.

Après une attente musicale quelque peu répétitive, mais guère digne de Philip Glass, une nouvelle voix, masculine cette fois, me répond et me demande comment on peut m’aider. Je lui explique donc que je suis un romancier très très talentueux, hyper connu, vachement sympa, méticuleux, et que je suis en train d’écrire un roman dont le héros sera analyste aux RG, et que donc j’ai besoin de savoir un peu en quoi consiste ce métier, comment ça se passe, au quotidien, tout ça, tout ça… Et là, je vous le promets, le type me dit :

— Très bien. Je me renseigne sur vous et je vous rappelle.

Véridique. « Je me renseigne sur vous ». En gros, je dois être le seul citoyen Français assez débile pour appeler lui-même les RG et les inciter à faire une enquête à son sujet !

Quoi qu’il en soit, quelques jours plus tard, le type me rappelle (qu’il soit ici remercié), et me dit :

— Bien. Je me suis renseigné.
— Ah. Super…
— Vous avez deux choix. Soit vous nous faites parvenir un courrier, que je fais remonter à la hiérarchie, et vous aurez peut-être une réponse dans quelques mois, soit on se retrouve demain matin dans un café et je vous dis en off ce que je peux vous dire.

Encore une fois, je vous promets, tout ceci est véridique ! J’espère d’ailleurs que l’officier en question ne m’en voudra pas de raconter ça, s’il me lit encore… C’était il y a vingt ans, il y a prescription !

Alors évidemment, moi, pas fou, j’ai choisi la deuxième solution, et j’ai retrouvé le monsieur dans un café parisien le lendemain matin. Il ne m’a, bien sûr, rien dit de très confidentiel, mais simplement décrit le quotidien de ses collègues, leur méthodologie, l’ambiance dans les couloirs, etc. Ce dont j’avais besoin, en somme. Mais ce qui est drôle, c’est que dès sa première réponse, le gaillard s’est amusé à me mettre au parfum :

— Vous savez, monsieur Loevenbruck, un analyste aux RG, ça ne roule pas sur l’or, hein, faut pas croire ! C’est pas James Bond ! Avec le salaire qu’il touche, votre héros, il ne pourrait pas rouler… je sais pas, moi, tiens, en Porsche, par exemple (oui, j’avais une vieille Porsche, à l’époque, ça va, crise de la quarantaine, tout ça…). Il ne pourrait pas habiter un joli pavillon de 200m2 dans la banlieue parisienne et partir en vacances au Brésil…

Et ce faisant, il venait de me montrer qu’en effet, il s’était « renseigné sur moi » ! Ce petit malin s’est amusé à glisser dans la conversation de nombreux détails de ma vie privée, pour me montrer, sans doute, l’irréprochable efficacité de nos services !

Je l’avais bien cherché.

Vive la République, vive la France !