Aujourd’hui, après avoir avalé goulûment ses deux premières saisons, L’Octet vert fait partie des quelques podcasts dont je ne rate aucun épisode, dont j’attends même fébrilement chaque nouvelle publication, comme on attend le nouveau volet de sa série télé préférée, et, si vous avez la patience de lire les tartines habituelles de mon blog, je vais tenter de vous expliquer pourquoi.
Le partage du savoir
Parmi les raisons qui peuvent pousser une personne – dont ce n’est pas le métier – à créer un podcast, l’une des plus louables, à mes yeux, et des plus susceptibles de réussir, est certainement celle qui semble avoir conduit Tristan Nitot à créer L’Octet vert.
Imaginez : dans votre parcours de vie, de citoyen pas trop con, alors que vous avez un métier, une famille et un agenda bien rempli, soudain, vous faites une découverte qui vous bouleverse, vous terrifie, ou vous transporte. Un genre d’épiphanie, de révélation. Une baffe, quoi. Lors, puisque vous êtes un citoyen pas trop con, disions-nous, vous vous mettez frénétiquement à vous documenter sur le sujet, avalant tous les bouquins que vous trouvez, regardant tous les documentaires disponibles, dans l’espoir de tout apprendre, très vite, de rattraper les années de retard que vous avez prises en n’ayant pas songé plus tôt – triple andouille que vous étiez – à vous renseigner là-dessus et, ce faisant, vous comprenez peu à peu que vous allez en avoir pour très longtemps, qu’il y a de fortes chances que ces recherches vous transforment, et qu’il y a plein de gens qui pourraient profiter de votre entreprise salvatrice d’autodidactie, bénéficier de l’énergie (renouvelable) que vous mettez dans votre quête de savoir passionnelle.
Et puisque, une nouvelle fois, vous êtes un citoyen pas trop con, qui sait que la plus grande source de progrès qui soit, c’est le partage du savoir, vous faites un podcast. Ainsi, non seulement vous partagez votre cheminement, votre propre apprentissage, mais, en allant les interviewer, vous permettez à des spécialistes d’éclairer vos auditeurs dans ce long, long tunnel que vous avez décidé de traverser avec eux. Parce qu’au bout du tunnel, il y a de la lumière, figurez-vous. Vous devenez alors un passeur, un médiateur.
Ce qui est génial, avec le savoir – contrairement à l’argent – c’est que quand on en a, on peut le distribuer à tout le monde, sans le perdre. Eh ouais, le savoir, c’est une corne d’abondance, mon pote !
Le déclic
Avant de se lancer dans ce podcast, Tristan Nitot était déjà une personnalité bien connue du numérique. Ingénieur en informatique, plutôt orienté web, ayant fait ses armes chez Netscape (vous vous souvenez ?), il a ensuite créé et dirigé la branche européenne de la Fondation Mozilla, à qui l’on doit une suite de logiciels libres super chouettes, dont les plus célèbres, utilisés par votre serviteur, sont le navigateur Firefox et le client de messagerie Thunderbird, les deux rares logiciels libres qui ont résisté face aux rouleaux compresseurs de Google (Chrome et Gmail). Depuis 2015, date à laquelle il a quitté ladite Fondation, le bonhomme n’a pas chômé, entre l’écriture de Surveillance://, un excellent livre de vulgarisation sur les dangers du siphonnage de nos données personnelles (que vous pouvez encore trouver en epub ici), sa mission au sein du Conseil national du numérique et des postes successifs chez de grands acteurs du numérique, dont le moteur de recherche français Qwant.
Et puis, un jour, donc – le 28 août 2018 très exactement – Nicolas Hulot annonce sur France Inter sa décision de démissionner de son poste de ministre de l’Écologie, affirmant que le gouvernement (pour ne pas dire le monde entier) n’est pas à la hauteur des enjeux écologiques… En gros, nous dit-il, je pensais pouvoir changer les choses, mais c’est mort. Pour Tristan Nitot, comme pour beaucoup de Français, c’est une immense claque (la fameuse baffe mentionnée plus haut) ; un coup de pied au coquillard, qui entraînera un éveil, ou plutôt un réveil. Car, soyons honnêtes : en ce qui concerne l’écologie, nous n’avons pas besoin d’être éveillés. Nous avons besoin d’être réveillés. Nous sachons déjà, en vrai.
Eh oui, bande de petits ragondins fallacieux : nous sommes des milliards à entendre, au fond de nous, cette petite voix qui, depuis des années, nous dit que l’écologie est un sujet bien plus grave que nous ne voulons l’admettre ; nous déployons beaucoup d’efforts à étouffer cette voix, car nous pressentons que l’écouter vraiment risquerait de nous secouer bien plus que nous n’aimons être secoués. Parce que nous l’aimons, notre grosse bagnole, notre grosse moto, notre grosse baignoire bien chaude, notre abonnement à Netflix, notre confort quotidien et l’insouciance qui lui permet de s’épanouir, les doigts de pieds en éventail. Nous l’aimons, notre vie carbonnée, et même si, quelque part dans le fin-fond de notre subconscient, nous savons pertinemment que ça craint, et que nos enfants, eux, ne pourront pas en profiter aussi aisément, nous refusons d’admettre que les jours de ce confort sont comptés. Ils nous emmerdent, les écolos, bordel ! En somme, nous sommes des millions de gros fumeurs qui n’ont pas envie de regarder la radio de leurs poumons que le médecin leur tend d’un air désolé : « Eh, c’est le cancer, con ! », comme dirait Desproges.
Parfois, il y a besoin d’un déclic, pour qu’enfin on accepte d’y regarder de plus près, pour qu’on accepte de se lancer dans la fameuse courbe du deuil (le modèle de Kübler-Ross, souvent cité dans le podcast) : déni, colère, marchandage, dépression et acceptation. Pour Nitot, ce fut Hulot. Pour moi, ce fut le podcast de Nitot.
Le Thoreau par les cornes
OK. Je ne vous le cache pas, je suis hyper fier de ce jeu de mots. Vraiment. Limite, je me demande si je ne vais pas arrêter mon papier ici, tellement ça pète (pour ceux qui ne le comprennent pas, misérables sots que vous êtes, allez jeter un coup d’œil à la bio de Henry David Thoreau, auteur naturaliste s’il en fut, et vous verrez à quel point je suis hyper drôle, comme mec. Comme fille aussi, d’ailleurs).
Pardon. Mon ego surdimensionné m’a encore emporté.
Revenons donc à nos moutons électriques. Désireux de partager à la fois son propre parcours post « prise de conscience climatique » et son expérience professionnelle dans le domaine du numérique (où les enjeux écologiques sont énormes), Tristan Nitot a donc fini par créer L’Octet vert, le podcast « qui parle de climat, de numérique, et qui file la pêche ». Et la raison pour laquelle vous devez l’écouter, c’est que ce podcast, en réalité, a une vertu thérapeutique (qui profite probablement aussi bien à son auteur qu’à ses auditeurs). Après vous avoir cassé les deux jambes en vous obligeant à quitter votre posture d’autruche, il est, justement, une paire de béquilles formidable pour vous accompagner lentement le long de la courbe du deuil évoquée ci-dessus. Après la première baffe (que vous pouvez compléter en regardant l’interview de Jean-Marc Jancovici sur la chaîne d’ELUCID), la magie opère lentement, par l’accumulation des témoignages que Nitot nous offre sur un plateau, et alors une nouvelle dynamique s’installe, et l’on passe en douceur du déni à l’acceptation, et de l’acceptation au désir d’action.
Partant d’un constat aussi simple que douloureux – dans cinquante ans, si rien ne change, ça va vraiment, vraiment être la merde, pour beaucoup, beaucoup de monde, tant au niveau du climat que des ressources naturelles, et ceci n’est plus une hypothèse d’apôtres de l’Apocalypse, c’est une certitude scientifique, point final – le podcast nous montre, par l’exemple, qu’il y a non seulement des sources d’espoir, mais surtout des moyens d’agir. Et du coup, la baffe fait (un peu) moins mal. Écouter L’Octet vert, c’est se frotter la joue après qu’elle a brûlé sous le choc, et accepter de se retrousser les manches.
D’épisode en épisode, Tristan donne la parole à des gens qui, soudain (pour la plupart en tout cas), ont radicalement changé de trajectoire de vie, décidant enfin de « prendre le Thoreau par les cornes » pour agir, plutôt que subir, pour affronter l’immense bordel qui nous attend plutôt que de lui tourner le dos en le laissant nous entrouducuter sauvagement dans quelques toutes petites décennies.
Avec beaucoup de modestie, Nitot (dont on sent pourtant qu’il commence à avoir accumulé un solide bagage sur ces sujets) tend le micro à des gens dont le parcours est une source d’inspiration, de motivation. Des gens parfois très jeunes, parfois moins, qui sont déjà dans le tunnel, comme nous, mais qui marchent devant, après avoir allumé une torche. « Vous n’êtes pas seuls », comme dirait l’autre. Sans jamais culpabiliser l’auditeur, L’Octet vert lui offre tout un tas de pistes pour faire son propre chemin, lui montre qu’il est possible d’agir, dans de nombreux domaines.
À la fin de chaque opus, j’ai non seulement la satisfaction d’avoir appris quelque chose (vous verrez, on va de découverte en découverte), mais surtout d’avoir gagné un peu de motivation pour me décider à me bouger à mon tour, à commencer progressivement à changer certaines de mes mauvaises habitudes, et à m’interroger tout simplement sur ce que je veux et peux faire, au quotidien, pour participer à cet effort dont le seul objectif est d’assurer à nos gosses une vie bien meilleure que celle que nous leur promettons pour l’instant. Et, croyez-moi, ce n’était pas gagné. Car, en termes d’empreinte carbone, le motard accro au voyage, à la vitesse et à la high-tech que je suis n’était pas forcément le client rêvé pour ce genre de podcast. La politique de l’autruche, cela faisait trente ans au moins que j’en avais fait un art de vivre. Et ma moto, je ne l’ai pas encore lâchée, loin de là. Et c’est précisément la raison pour laquelle vous devez écouter L’Octet vert : si ça a marché sur moi, si ça me fait du bien là où ça fait mal, et si c’est en train de me transformer, en m’élevant un petit peu, il y a de grandes chances que cela vous fasse, à vous aussi, un bien fou, là où vous allez avoir mal. Et nous en avons besoin, n’est-ce pas ? Vais-je abandonner ma moto ? Peut-être pas. Mais j’ai acheté un vélo, pour les petits trajets. Reprendrai-je encore l’avion ? Non. Mais c’est un choix qui, après avoir écouté l’expérience des différents intervenants, ne se fait pas dans la douleur, mais dans la joie.
Vous verrez. Vous allez vite tomber accro à L’Octet vert. On y rencontre des gens époustouflants, tel Ivan Enderlin et sa maison autonome de frapadingue, la pétillante Agnès Crepet et son boulot chez Fairphone, on y découvre les travaux anciens du rapport Meadows et nouveaux du Shift Project, les services du site Nos gestes climats, des initiatives formidables comme celles de La Fresque du climat, on y passe à travers mille émotions et on y pêche mille idées de lecture.
Le podcast en est aujourd’hui à sa troisième saison. Certains épisodes m’ont énormément marqué, pour ne pas dire transformé dans ma vision du monde. Pour n’en citer qu’un, je mentionnerais celui dont l’invité était Timothée Parrique, docteur en économie, chercheur en écologie économique, et auteur du livre Ralentir ou périr : c’est probablement l’une des interventions au sujet de la décroissance qui m’ont le plus captivé. Thimothée a un discours extrêmement didactique, il est éclairant, agréable à écouter, et se révèle enthousiasmant, sur un sujet qui, pourtant, n’est pas censé soulever notre enthousiasme…
La parabole du cerisier
Pour conclure ce billet qui est un peu long (parce que je n’ai pas eu le temps de le faire court, comme disait Churchill), je tenais à partager avec vous l’une des nombreuses belles idées que L’Octet vert m’a permis de rencontrer. Celle de la parabole du cerisier.
C’est Frédéric Bordage, créateur de GreenIt, qui nous pousse à la découvrir, citant à la fin de son interview le livre Cradle to cradle, de William McDonough et Michael Braugart, un ouvrage expliquant le concept du Berceau au berceau, lequel invite les industriels à avoir, dans la conception de leurs produits, une approche qui s’inspire de la nature, et de sa capacité à se regénérer elle-même. Frédéric Bordage nous résume alors la formidable parabole du cerisier qui y est décrite (et que l’on devrait enseigner à bien des patrons), permettant de comprendre la différence entre efficience et efficacité.
Eussiez-vous seulement l’obligeance de bien vouloir me laisser vous la restituer ici, en langage simple : en termes de rendement, un cerisier, ça paraît tout pourri : t’as la moitié des cerises qui tombent par terre, et la moitié de celles qui ne tombent pas se fait bouffer par ces enfoirés d’oiseaux, leur mère. Si ton but, c’est de produire un max de cerises, t’as le seum. Sauf que non. Car, en réalité, si t’es un citoyen pas trop con, tu comprends vite qu’aucune de ces cerises n’est gâchée : celles qui tombent par terre nourrissent le sol et permettent à de nouveaux cerisiers de pousser, et celles qui nourrissent les oiseaux permettent à la biodiversité de perdurer, elle qui est si essentielle à la survie de la nature, et donc, de ton foutu cerisier, qui n’est finalement pas le gros branleur qu’on aurait pu croire.
En somme, arrêtons de penser au rendement, pensons un peu plus aux oiseaux… en écoutant L’Octet vert.