Il faut que je vous parle un peu de mon éditeur. S’il a depuis pris sa retraite, Bernard Fixot, fondateur des éditions XO, est bel et bien l’homme à l’origine de mon arrivée dans cette maison d’édition pour le moins singulière et je lui serai à jamais reconnaissant de m’avoir ouvert les portes de ce drôle d’endroit qui est devenu mon nouveau refuge littéraire (depuis 2019). Sa vision est aujourd’hui portée avec brio par la discrète mais redoutable Édith Leblond — mais ça, je vous le raconterai une autre fois…
D’abord, un aperçu de l’homme : Bernard, qui a grandi à Arcueil, tout près de chez moi, était un passionné de lecture dès l’enfance, presque maladif, comme on dit. Ainsi, quittant le lycée prématurément pour se lancer bille en tête dans les métiers du livre, il est entré dans le monde de l’édition avec un seul diplôme en poche : le certificat d’études primaires.
De magasinier chez Hachette à représentant chez Gallimard, il a gravi tous les échelons, un à un, incarnant mieux que quiconque le mythe du self-made man, jusqu’à devenir l’un des plus grands éditeurs nationaux, en dirigeant notamment les éditions Robert Laffont… avant de fonder, en 1999, sa propre maison, donc : XO.
Son idée à l’époque ? Révolutionnaire ! Au lieu de publier comme tout le monde quarante titres par mois dont les trois quarts finissent au pilon, il décide de ne publier qu’une quinzaine de romans par an, pour concentrer tous les efforts de son équipe sur chacun d’eux. Garantir à ses auteurs que tout sera fait pour que leurs livres puissent rencontrer leurs lecteurs. Le risque est grand : si un livre ne marche pas, il n’y en a pas 39 autres le même mois pour équilibrer les comptes…
Résultat ? Sans appel : en plus de mettre fin à l’aberration écologique qui consiste à imprimer à tout va sans se soucier du pilon, Fixot révolutionne l’édition. La très grande majorité des livres publiés chez lui deviennent des best-sellers, certains atteignant même des sommets inédits — comme ceux d’un certain Guillaume Musso, qu’il a révélé (après avoir révélé Marc Levy chez Robert Laffont, soit dit en passant…).
Mais là n’est pas son seul secret. Et c’est là que je veux en venir : ce type est fou. Dans le bon sens du terme, bien sûr. Et j’en ai une preuve irréfutable.
Juste avant la publication de mon tout premier roman chez lui, Le Loup des Cordeliers, tout se déroule comme prévu. Je rends mon manuscrit en juin (j’étais encore à l’heure, à l’époque…). La formidable Sarah Hirsch travaille dessus avec moi et Bernard Fixot, fidèle à lui-même, donne aussi son avis. Il m’invite à réécrire tel passage, à couper ici, là, et encore un peu là. Je l’écoute — et je fais bien (le recul me permet de le dire, il a toujours raison). Son exigence est celle d’un vrai lecteur. Le slogan de la maison, Lire pour le plaisir, ce n’est pas du marketing. C’est un credo.
Je termine mes dernières corrections, et l’été passe. Les épreuves sont envoyées aux journalistes, la fabrication s’active, l’impression est lancée, et des milliers d’exemplaires arrivent chez le diffuseur.
Ainsi, nous voilà début octobre. Trois semaines avant la sortie. Tout est prêt. Je piaffe d’impatience. Et là, soudain, mon téléphone sonne :
— Allô, Henri, c’est Bernard. Dis-moi, mon pote (oui, il aime bien me parler comme ça), plus je réfléchis, plus je me dis que Gabriel Joly, comme nom, c’est pas terrible. Joly ! Tu trouves pas que ça fait un peu neuneu ?
— Euh… Je sais pas, Bernard… Euh… De toute façon, c’est trop tard. Le livre est imprimé, là, et il est en librairie dans quelques jours…
— Oui, oh, ça, c’est pas grave ! Si on trouve un nom un peu mieux, c’est pas grave, je réimprime.
Si, si. Je vous jure. Il était sérieux. Et si j’avais dit oui, je suis certain qu’il l’aurait fait.
Parce que ce type est fou. Parce que ce type est prêt à tout pour donner toutes leurs chances aux livres qu’il publie. Parce que ce type est génial, et qu’il fait ce que tous les autres éditeurs ne font plus : il prend des risques, et il joue tout à chaque coup. Il est, en quelque sorte, l’éditeur dont rêvent tous les écrivains.
Au final, l’ayant convaincu que le nom de mon héros n’était pas une si mauvaise idée (au grand soulagement de son équipe…), Gabriel est resté Joly. Et, ouf ! Il a rencontré le succès.
Quelques mois plus tard, Bernard m’a confié, sourire en coin :
— T’avais raison. Je m’y suis fait. C’est pas mal, comme nom, finalement, Joly. Après tout, ça lui va bien, il est un peu neuneu, ton Gabriel.
Bernard Fixot fait partie de ces rencontres qui changent une vie. Et, depuis mon petit bureau, je lui adresse aujourd’hui mes pensées les plus affectueuses — et ma reconnaissance éternelle.