Vous êtes nombreux à me demander une Confidence Livresque à propos de mon roman J’irai tuer pour vous. Je sais qu’il figure, aux côtés de Nous rêvions juste de liberté, parmi vos petits chouchous – et les miens aussi. Mais en parler n’est pas simple pour moi…
D’une certaine manière, ce livre est déjà une immense confidence. Pas la mienne, mais celle d’un ami très cher, un frère de cœur, que j’ai appelé “Marc Masson” dans le roman. Il m’a fallu des années d’insistance pour qu’il accepte que je raconte son histoire incroyable. Pour moi, cette histoire devait être racontée. Nous avions besoin de la connaître. Parce qu’elle dit beaucoup de choses sur nos rapports avec ce qu’on appelle la “raison d’État”. Il a fini par dire oui, à condition de changer quelques noms et détails… Ce que j’ai fait.
J’ai souvent évoqué les circonstances dramatiques dans lesquelles s’est déroulée la rédaction de ce roman. Après m’avoir confié pendant des mois les moindres détails de sa vie, enregistrés sur un petit dictaphone, ce bougre d’andouille a eu la mauvaise idée de tomber gravement malade. Et, quelques mois plus tard, il est parti. Ce gaillard immortel, qui avait traversé tant d’épreuves, survécu à tant de drames, a fini par se laisser emporter par ce putain de crabe sa mère.
Je ne saurai jamais s’il a accepté de me livrer son histoire parce qu’il sentait la fin approcher, s’il voulait que ses enfants connaissent ce pan caché de sa vie. Peut-être… Rien que de vous l’écrire, je vous l’avoue, réveille de douloureux souvenirs. Tendres, certes, mais douloureux.
Mon ami est mort à l’hôpital, entouré de sa famille, de moi et d’un autre frère de cœur. Il n’avait lu qu’une trentaine de pages du roman, alors inachevé. J’ai eu énormément de mal à reprendre l’écriture après ça. Pour tout vous dire, j’ai même failli abandonner. Mais j’ai fini par me dire que je le devais à ses enfants – que je considère aujourd’hui un peu comme mes filleuls. Alors j’ai continué. Et je l’ai terminé.
J’ai écrit une trentaine de romans dans ma vie. Celui-ci est le seul que j’ai rédigé dans la douleur. Pour moi, écrire doit toujours se faire dans la joie. Mais là, chaque ligne m’a coûté. Chaque journée passée devant l’écran s’est avérée une épreuve, allongeant mon deuil… Vous comprendrez donc que j’aie du mal à en parler légèrement, à en rire comme je peux le faire avec d’autres romans…
Il n’y a pas vraiment d’anecdote cocasse autour de ce livre. Il existe. J’en suis fier. Je l’aime. Mais j’étais soulagé de l’avoir terminé, et de pouvoir ensuite me consacrer à des récits plus légers. Je crois que c’est le seul de mes romans que je n’ai jamais relu après sa sortie.
Bon… J’ai cassé l’ambiance, là. Allez ! Il y en a bien une, d’anecdote amusante. Il faut bien qu’on rigole un peu, quand même, hein ? La vie est un cabaret !
Donc. Le roman se déroule dans les années 1980, à une époque où le terrorisme fait rage à Paris, et se situe en plein cœur des services secrets, entre Service Action, DGSE et DST.
Un jour, lors d’une séance de dédicaces dans une grande ville, je remarque un homme d’environ soixante-dix ans. Il fait la queue comme tout le monde… sauf qu’il quitte régulièrement sa place pour se remettre derrière. Bizarre. Très vite, je comprends qu’il veut absolument passer en dernier. Pour avoir le temps de me parler, sans doute. Après tout, vous êtes souvent bizarres, hein, pendant les séances de dédicaces !
Bref, une bonne heure plus tard, il n’y a plus personne, c’est enfin son tour. Il s’avance, me tend un exemplaire de J’irai tuer pour vous, et me demande :
— Vous savez qui je suis ?
— Euh… non.
— Page XXX. Dans la voiture ? Celui qui conduit ? C’était moi.
Je reste bouche bée. Devant moi se tient un ancien haut gradé de la DST.
— Ah. Bonjour, monsieur… Ça se passe bien, la retraite ?
— Le dialogue, dans cette scène… Mot pour mot, c’est ce qu’on s’est dit, ce jour-là !
— Ah, ben… oui… forcément.
— On était trois dans la bagnole.
— Voilà, voilà… Belle bagnole, hein ?
— Vous savez que ça relève du secret-défense, ce genre de choses ?
— Ah bon ? Oh… si peu… Y’a prescription, non ? Vous voulez un Dragibus ?
(oui, mes lecteurs savent qu’il faut toujours m’apporter des Dragibus en dédicace, merci de noter)
— Comment avez-vous pu savoir aussi précisément ce qu’on s’est dit dans la bagnole ?
Je balbutie. Il éclate de rire, me fait un clin d’œil.
— Allez… Je veux bien une dédicace ! Pour une fois qu’un polar sur les services ne dit pas trop de conneries…
— Euh… Avec plaisir. Vous êtes sûr que vous voulez pas un Dragibus ?
Je m’essuie le front, lui signe son livre et le regarde partir avec soulagement.
Vive la France, vive la République !