On dit que vous connaissez bien les loups, pourriez-vous m’en dire plus ?
J’ai toujours eu un faible pour cet animal, non seulement parce que je le trouve d’une beauté sauvage envoûtante, mais aussi pour les valeurs qu’il évoque : l’amour de sa tribu, le besoin de liberté, le nomadisme, le refus de se laisser dompter… C’est un animal qu’on apprivoise avec respect, mais qu’on ne dresse pas. J’ai passé beaucoup de temps à étudier les loups, j’ai eu la chance de vivre un peu au milieu d’eux, en différents endroits, à l’époque où j’ai écrit le cycle de La Moïra qui leur est dédié. Aujourd’hui, le loup pose la question de la place que l’homme est prêt à laisser à la nature sauvage dans le monde moderne, et plus largement celle du vivre ensemble. C’est un animal qui peut causer bien des soucis aux bergers mais, si je suis favorable à ce qu’on aide ces derniers, je n’arrive pas à me résoudre à l’idée que l’abattage soit une solution moralement et philosophiquement acceptable… Il doit bien y avoir un moyen d’aider les bergers sans tuer le loup, et il est bien sombre l’avenir d’une humanité qui n’accepterait plus de cohabiter avec la nature, aussi sauvage soit-elle…
Quel est votre rapport à la lecture ?
Pour un auteur, je me suis mis (relativement) tard à la lecture, c’est-à-dire vers quinze ou seize ans. Avant cela, je n’avais pas rencontré les ouvrages qui auraient su me donner la passion de la lecture. Mais quand l’étincelle est arrivée, je m’y suis mis de manière passionnée, et je suis devenu un lecteur compulsif. Pendant de nombreuses années, j’ai lu deux à trois romans par semaine, essentiellement de la littérature de genre, du fantastique, de la SF, du polar, avant de découvrir que je pouvais éprouver le même plaisir avec la littérature générale et me plonger, sur le tard, dans Romain Gary, Borges, Faulkner, Morrison, Easton Ellis… Aujourd’hui, malheureusement, mon métier m’oblige à consacrer l’essentiel de mon temps de lecture à la documentation que mes romans exigent, et donc plutôt aux essais, aux ouvrages historiques ou scientifiques, et je ne lis plus autant de romans qu’il y a une dizaine d’années. Mais je ne passe jamais une semaine sans lire et, quand je prends de (trop rares) vacances, les romans s’empilent dans mes valises.
Comment vous est venue l’envie d’écrire ?
Je n’en ai aucune idée. Elle a toujours été là, d’aussi loin que je me souvienne, et même, bizarrement, avant le goût de la lecture ! Peut-être est-ce génétique, ayant eu pour grand-oncle Pierre Lœvenbruck, qui fut un grand romancier populaire de la première moitié du vingtième siècle, aux éditions Tallandier. Et puis mes parents sont aussi de grands amateurs de littérature. Toujours est-il qu’avant mes dix ans, avant même d’être un véritable lecteur donc, j’écrivais déjà des petits romans, des scénarios de BD, que ma maman, je crois, conserve encore précieusement quelque part. Et il n’y a aucun métier sur terre que j’aimerais mieux embrasser que le mien. Chaque jour, je mesure la chance immense qui est la mienne.
Comment définiriez-vous votre style d’écriture ?
Je ne crois pas en avoir, ou du moins, je crois en changer trop souvent pour vous répondre. Il y a certes de nombreux dénominateurs communs entre mes romans, mais leur forme varie énormément selon le sujet traité. C’est peut-être d’ailleurs ça, mon style d’écriture : la diversité… Je peux écrire des polars historiques en m’amusant avec la langue de Dumas, des thrillers plus modernes, à l’américaine, des romans psychologiques introspectifs comme J’Irai tuer pour vous ou me lancer tête baissée dans un Nous rêvions juste de liberté intimiste, avec une écriture plus personnelle, quoiqu’empruntant éhontément à mon maître Romain Gary (alias Émile Ajar), sans bien sûr arriver à l’ourlet de ses pantalons… Une chose est sûre, mes romans s’écrivent en deux temps. Il y a celui de la conception, où je construis entièrement l’histoire du début à la fin, de manière très détaillée, avec des synopsis d’au moins trente pages et une bible, plus longue encore, qui renferme toutes les informations sur les personnages réels ou fictifs, les lieux que je vais devoir décrire, les connaissances que je vais devoir maîtriser, etc… Ensuite vient le temps de la rédaction, où tout mon esprit, libéré des questions de fond, peut se consacrer exclusivement à la forme, à la phrase, au rythme, à la musique des mots… Allez, je vous confie un petit secret un peu ridicule : j’écris à voix haute ! C’est-à-dire que je prononce mes phrases en même temps que je les écris et, tant que je ne suis pas satisfait de l’harmonie, du mouvement de la phrase, je recommence. Ce qui explique que j’ai beaucoup de mal à écrire en public, dans un avion, un train ou un café, de peur de me faire embarquer par les infirmiers d’un asile psychiatrique…
Dans vos romans, l’Histoire à beaucoup d’importance, pourquoi ? Quel est votre lien avec cette Histoire ?
C’est une question que je me pose moi-même ! Je n’étais pas particulièrement friand d’Histoire à l’école, et j’ai fait des études littéraires. En réalité, ce sont mes propres romans qui, un jour, m’ont poussé à m’intéresser à l’Histoire, sans doute pour l’éclairage que le passé apporte sur le présent. Et puis, écrire des romans historiques a quelque chose de délicieusement dépaysant. Visiter la France du XIVème ou du XVIIIème siècle, c’est presque visiter un autre pays ! Ce qui est très agréable pour moi, c’est que chaque nouveau roman que j’écris me permet d’apprendre de nouvelles choses, notamment sur l’histoire de mon propre pays, mais aussi de faire des rencontres passionnantes avec des historiens, des archivistes, des spécialistes, de visiter des lieux chargés d’histoire avec des guides qui acceptent gentiment de m’ouvrir certaines portes fermées au public… N’étant pas historien et n’ayant pas la prétention de me faire passer pour tel, je prends toujours la peine de demander conseil à ceux dont c’est le métier, je leur demande de me donner leur avis sur mon texte, afin de m’assurer que je ne dis pas trop de bêtises à mes lecteurs. Car l’Histoire, voyez-vous, c’est un peu comme la virologie : le mieux, quand on n’y connaît rien, c’est quand même d’écouter l’avis des professionnels, plutôt que celui des petits excités en mal de gloire, qui viennent nous donner des leçons d’histoire ou d’épidémiologie sur les réseaux sociaux ou les plateaux de télé en se faisant passer pour des spécialistes. Vous voyez ce que je veux dire ?
Qu’y a-t-il de vous dans ces romans ? Y mettez-vous un peu de votre caractère dans la construction des personnages, ou alors sont-ils issus uniquement de vos rêves ? Comment construisez-vous un personnage ?
Il y a toujours, qu’on le veuille ou non, beaucoup de soi dans un roman. Notre écriture est évidemment la somme de notre vécu, de notre culture, de notre philosophie, de notre histoire, de notre éducation. Mais, de manière plus consciente, oui, il m’arrive de mettre un peu de moi dans certains personnages, comme dans Ari Mackenzie (Le Rasoir d’Ockham), par exemple, et bien plus encore dans le personnage de Bohem (Nous rêvions juste de liberté), dont l’histoire n’est pas très éloignée d’une autobiographie, à peine déguisée. Mais j’essaie aussi de mettre un peu de moi dans les personnages les plus sombres, dans les « vilains », comme disent les anglais, parce que je suis persuadé qu’un personnage négatif est plus fort quand il a une part d’humanité, des zones grises, or, je ne connais aucune face sombre aussi bien que la mienne… Pour ce qui est des rêves, je ne crois pas avoir été jamais influencé par un rêve. Il me semble, d’ailleurs, que c’est plutôt le contraire : nos rêves sont influencés par notre imagination. Enfin, pour construire mes personnages, j’écris leur histoire dans la bible du roman que je prépare. J’imagine leur enfance, leurs blessures, leurs joies passées, leurs peines, je dessine leur caractère, parfois en m’inspirant de certaines de mes connaissances, et ce matériau, en général, suffit à leur donner vie au moment où je passe à la rédaction du roman. En vérité, j’en sais toujours bien plus sur mes personnages que ce que je raconte dans mes livres, et je crois que c’est essentiel pour leur donner un peu de corps…
Quel est le livre qui vous a été le plus difficile à écrire ?
Il n’y en a qu’un, et c’était J’Irai tuer pour vous, pour tout un tas de raisons. D’abord parce qu’il abordait le sujet pénible du terrorisme, à un moment où celui-ci frappait notre pays, et que je faisais partie, comme des milliers de nos concitoyens malheureusement, des personnes qu’il avait touchées de près, emportant par deux fois plusieurs de mes amis proches. Ensuite parce que j’y ai écrit l’histoire d’un ami très cher, un frère de cœur, qui a eu la fort mauvaise idée de perdre la vie alors que j’en étais tout juste à la moitié du livre. J’ai bien cru ne jamais pouvoir en terminer la rédaction, écrasé par le deuil et la douleur chaque fois que je m’y essayais, et sans doute n’y serais-je pas parvenu si je n’avais éprouvé le besoin de remplir un devoir de mémoire, non seulement pour ses enfants, que je considère aujourd’hui comme mes filleuls, mais aussi pour notre pays tout entier, qui rend bien peu souvent hommage aux soldats de l’ombre. Bref. Une épreuve désagréable, nécessaire, sans doute, mais que j’espère ne plus jamais revivre. Mes autres romans ont été écrits dans la joie, même si, bien sûr, l’acte d’écrire, quand c’est devenu un métier quotidien, génère parfois des moments de lassitude, de fatigue, où, en se levant, on traîne des pieds pour aller s’installer derrière son clavier… Globalement, je prends beaucoup de plaisir à faire ce métier, et il m’arrive même d’éclater de rire tout seul devant mon écran. Il m’arrive aussi d’éprouver de belles émotions mélancoliques, d’avoir les yeux un peu humides, ce qui est finalement assez rassurant : je me dis dans ces moments-là que les lecteurs seront peut-être un peu touchés eux aussi…
Et le plus facile ?
En terme de quantité de travail nécessaire, tous mes romans ayant demandé une grosse documentation, aucun n’a été vraiment « facile » à écrire, à part peut-être Nous rêvions juste de liberté, qui est sorti de mes tripes comme une évidence, et pour lequel je n’ai pas eu besoin de faire des recherches, puisque j’y ai raconté une version très romancée de ma propre vie, que je connais somme toute assez bien, en tant que témoin direct, en dehors bien sûr de quelques rares épisodes trop arrosés, auxquels seul mon subconscient a pu assister. Bref, aucun n’a été « facile » à écrire, mais tous, excepté J’irai tuer pour vous, ont été agréables. La série des enquêtes de Gabriel Joly est d’ailleurs celle que j’ai écrite avec le plus de plaisir, de manière presque ludique, car j’ai pu y exprimer tout mon amour pour la littérature populaire, avec tendresse et amusement. C’est peut-être aussi parce que, après 23 ans de métier, je commence à mieux maîtriser mon artisanat, et donc à avoir ce petit supplément de sérénité qui permet de s’amuser en travaillant… Si ça continue, il n’est pas impossible qu’un jour je meure de rire au beau milieu d’un roman, ce qui serait, ma foi, le meilleur moyen de partir.
Comment choisissez-vous le titre de vos livres ?
Je ne sais pas ! Le titre s’impose toujours à moi pendant la phase de préparation. Assez vite, pendant les premières semaines, et de manière évidente. Tout à coup, il apparaît, comme un souvenir enfoui qui vous revient soudain en mémoire et, quand il est là, j’ai l’impression de le reconnaître ; je sais que c’est ce titre-là et aucun autre. Ce qui est un peu singulier, c’est que je serais totalement incapable de me lancer dans l’écriture d’un livre sans en avoir le titre. Je ne sais pas pourquoi, d’ailleurs. Sans doute parce que j’ai besoin qu’il existe dans ma tête, et que ce qui n’a pas de nom n’existe pas… Il m’est arrivé une seule fois de commencer un roman sans être sûr du titre, et ça me rendait dingue ! C’était Nous rêvions juste de liberté, que j’hésitais à appeler Bohemian Rhapsody. Quand j’ai appris qu’un film sur Queen se préparait sous ce titre, j’ai donc choisi l’autre, mais je ne le regrette pas.
Quel serait pour vous le livre idéal ?
Il existe, et il s’appelle La Vie devant soi, d’Émile Ajar. C’est le livre parfait, sur la forme comme sur le fond, c’est un monument, une œuvre d’art inaltérable, et incontestablement les pages les plus émouvantes que j’aie lues de ma vie. Point final.
Que diriez-vous à quelqu’un qui ne lit pas ?
Que ce n’est pas une obligation ! Je crois qu’il n’y a rien de pire que de vouloir forcer quelqu’un à lire ! Il y a des gens qui ne sont pas faits pour la lecture, et qui le vivent très bien. Certes, la lecture apporte énormément, mais il y a bien d’autres moyens de s’épanouir dans la vie. Disons que, parmi tous les moyens qui existent de s’éveiller, de s’émouvoir, de s’instruire, de s’évader et de grandir, la lecture fait partie de ceux qu’il est dommage de ne pas connaître, mais l’essentiel est de trouver le sien. Moi, certes, je ne pourrais pas m’en passer, mais c’est un plaisir solitaire, et je n’aime pas embêter les gens avec mes plaisirs solitaires !
Quel est votre rapport aux bibliothèques ?
Ah ! Fichtre ! C’est un rapport amoureux ! Parfois je me demande même si je n’aime pas encore plus le livre que la lecture ! Je vis au milieu des bouquins, il y en a sur les murs de mon bureau, de ma chambre, de mon salon, il y en a sur les tables, il y en a par terre, il y en a dans la salle de bain, dans les chambres de mes enfants et, comme beaucoup de bibliophiles, je les classe d’une manière très précise mais compréhensible par moi seul ! J’aime l’odeur des livres, j’aime les livres anciens, et je dois avouer que je suis un acheteur compulsif de certaines petites raretés, il m’est arrivé de considérablement mettre en péril l’héritage de mes pauvres enfants pour acheter des éditions originales inavouables, que ce soit pour des romans, des essais, ou même des vieux jeux de rôle qui n’ont eu que des tirages confidentiels… Pareillement, j’aime éperdument les bibliothèques publiques, leurs immenses rayonnages qui sont autant de promesses de voyages et de découvertes, avec un petit faible pour la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, où j’ai passé l’essentiel de mon temps de documentation pour écrire L’Apothicaire et Le Loup des Cordeliers. Enfin, quand j’entre pour la première fois chez quelqu’un, c’est plus fort que moi, la première chose que je fais, c’est regarder sa bibliothèque. Quels livres y figurent, comment ils sont classés… On apprend beaucoup de chose sur les gens en regardant leurs bibliothèques.
Il parait que vous collectionnez les montres cassées… est-ce vrai et pourquoi ?
Oui, c’est vrai. Au départ, je collectionnais juste les montres, pour lesquelles j’ai une fascination qui doit pouvoir s’expliquer psychologiquement et paradoxalement par ma hantise du temps qui défile… J’ai acheté beaucoup de montres dans ma vie, dont la plupart que je ne porte jamais, ce qui est parfaitement ridicule, j’en conviens, mais c’est un peu le principe de la collectionnite ! Et puis, en 2005, j’ai eu un accident de moto assez sérieux, au cours duquel ma montre s’est cassée et donc arrêtée à l’heure précise du choc. Quand j’ai repris connaissance, en la regardant, je me suis dit qu’elle indiquerait, pour toujours, l’heure à laquelle j’avais vraiment failli perdre la vie. Je n’ai du coup pas voulu m’en séparer, et je l’ai mise avec mes autres montres, dans ma vitrine, comme un petit rappel quotidien de la fragilité de l’existence, de la préciosité de la vie. Depuis ce jour-là, je collectionne donc aussi les montres cassées, à condition que la personne qui me donne la sienne me raconte dans quelle circonstance elle s’est cassée… Mais sinon, je suis un garçon tout à fait sain d’esprit. Quoi ?