Confidence Livresque 17 : Renaud is not in the kitchen.

Vous le savez peut-être : il y a une quinzaine d’années, j’ai eu le plaisir d’aider mon vieux pote Renaud sur un projet un peu fou et profondément touchant : un album hommage aux ballades irlandaises. J’ai traduit une vingtaine de classiques pour lui, en y glissant quelques suggestions d’adaptation. Fichtre, j’ai même fini par chanter sur l’album. Enfin… chanter est un bien grand mot. Un jour, alors que je donnais un petit concert, Renaud, venu me voir, m’a retrouvé dans les loges et m’a lâché, hilare :

— La vache ! Tu chantes tellement mal que tu pourrais faire les chœurs sur mon disque !

Dont acte.

Allez, petite anecdote croustillante sur l’enregistrement.

Nous sommes chez Renaud, à Meudon, dans sa cave transformée en studio artisanal par l’ingénieux Cyril “Reptile” Noton. À la console, son papa, le regretté Thomas Noton, tendre et talentueux réalisateur de l’album (fucking miss you, matey). Avec nous, deux musiciens de haut vol : Ramon Pipin (Odeurs, entre autres joyeusetés) et Laurent de Gaspéris (Treponem Pal, pour ne citer que ça), venus poser leurs voix sur les chœurs à mes côtés.

Il est 14h. Renaud, fidèle à sa routine, fait sa sieste. Le studio est à nous. Reptile branche les micros, me demande un test. Je me mets en place, et évidemment, pour faire marrer la galerie, je commence à chanter… en imitant la voix de Renaud. Faut dire que je suis assez connu pour ma caricature, une imitation bien gratinée. Si vous êtes sages je vous la ferai dans un quart d’heure rosé…

Je me lance, le casque sur les oreilles, et mes compères de l’autre côté de la vitre se bidonnent. Moi, dès qu’on rit, j’en remets une couche, comme un gosse. Je m’emballe, j’en fais des tonnes. Sauf que soudain, plus un rire. Le silence. De l’autre côté de la vitre, tous les regards sont baissés. Malaise.

Je retire lentement le casque.

Je me retourne.

Renaud est là. Juste derrière moi.

Il a tout entendu.

— Euh… Ça va, frangin ? Bien dormi ?

— Connard !

C’était… chouette.

Mais ce que vous ne savez peut-être pas, c’est qu’un jour, Renaud m’a proposé un défi inverse : traduire ses propres chansons en anglais. Et là, je vous jure, c’est sans doute le boulot le plus complexe que j’aie eu à faire de ma vie. Rendre la poésie brute, les jeux de mots, la tendresse vacharde de Renaud en anglais… un vrai casse-tête. Je ne sais pas s’il en fera quelque chose un jour, il a un peu laissé ça de côté, mais juste pour le fun, je vous en partage un extrait. Saurez-vous reconnaître la chanson à partir de ce premier couplet traduit ?

She hung on the wall, 
Near the baby’s cot, 
A picture of Wal…
Ter Scott.

She says he’s so hot
With his silky scarf
In the kid’s room what 
A laugh !

The angel design
She drew on the wall
Was not a good sign
At all !

Our flat’s like a bin
(She’s making a flub) 
Since my baby’s in
The club !

Confidence Livresque 16 : On n’écrit pas seulement pour soi.

L’acte d’écrire suppose, par essence, la présence d’un autre – fût-il hypothétique, invisible, ou encore à venir. Même dans les formes les plus intimes de l’écriture, même dans un journal qu’on croit ne destiner à personne, il y a toujours le fantasme d’un lecteur, ne serait-ce que soi-même, plus tard, redécouvrant un carnet jauni au fond d’un tiroir…

Revendiquer qu’on écrit « pour soi seul », c’est, au mieux, une posture romantique, au pire, une imposture vaniteuse. On écrit pour être lu. Pour être compris. Pour toucher. Pour convaincre. Et c’est bien ainsi. Car cette attente — même ténue — nous oblige. Elle nous pousse à chercher la justesse, la clarté, le rythme. Elle fait de l’écriture un acte de transmission.

Toutefois… Chaque fois que je me lance dans l’écriture d’un nouveau roman, je me pose toujours la même question : à qui ce livre est-il censé procurer du plaisir ? À vous, lecteurs… ou à moi ? Car au fond, l’envie d’écrire naît toujours de l’un de ces deux moteurs : le désir de faire plaisir, ou… l’onanisme pur et simple. Ainsi, il y a des livres où l’on pense un peu plus à soi, et puis des livres où l’on pense un peu plus au lecteur.

Avec les années, j’en viens à croire que l’écriture et le plaisir charnel obéissent à la même loi. Ce n’est jamais aussi réussi que quand les deux partenaires y trouvent leur compte.

Confidence Livresque 15 : Une petite astuce

Lorsque je me lance dans l’écriture d’un roman, je procède en plusieurs phases, chacune avec son lot d’enthousiasme, de doutes… et de découvertes.

Tout commence par une idée. Ou plutôt, par un mélange d’idées. Ce n’est jamais un seul sujet qui déclenche l’aventure, mais une constellation d’intentions. En général, je cherche une idée que je vais pouvoir utiliser pour aborder plusieurs sujets qui me tiennent à cœur. Par exemple : “ Tiens ! J’ai envie d’écrire un roman qui se déroule pendant la Conquête de l’ouest, mais de manière hyper réaliste, le plus proche possible de la vérité historique. Ça va me permettre aussi de raconter l’immigration française aux USA (dans les films, on dirait qu’il n’y a eu que des Irlandais et des Italiens… alors qu’il y a eu énormément de Français), et puis je vais en profiter pour parler des rapports entre ces migrants et les tribus amérindiennes, et puis pendant que j’y suis, je vais pouvoir traiter d’un des sujets qui me hantent en ce moment, le rêve américain et ce qu’il est tristement devenu avec l’autre mariole tout orange, là… Ah, et puis aussi, tiens, je vais en profiter pour faire partager mon amour des chevaux…”.

Quand ces envies se rencontrent et commencent à résonner ensemble, je sais que je tiens quelque chose.

Vient alors l’étape du premier synopsis, une page tout au plus. Ce n’est pas encore très détaillé : j’y note simplement le point de départ, la tension dramatique centrale, et une idée de la fin. Ce mini-plan m’aide à poser les bases… et surtout, à repérer les sujets sur lesquels je vais devoir me documenter : histoire, science, géographie, architecture, vocabulaire d’époque… bref, la partie que j’appelle la grande plongée !

La phase de documentation est sans doute la plus chronophage, mais c’est aussi l’une des plus stimulantes. J’y apprends toujours mille choses passionnantes, je fais de belles rencontres, et parfois, des portes s’ouvrent — au sens propre : on me laisse visiter des lieux fermés au public, simplement parce que je suis un mec super sympa, d’abord.

Souvent, cette phase enrichit considérablement mon intrigue. Des rebondissements surgissent, des personnages s’imposent, des pistes nouvelles apparaissent. C’est un moment de joyeux chaos créatif.

Une fois ce socle bien en place, j’attaque donc la rédaction d’un synopsis détaillé, chapitre par chapitre. Ce document évolue sans cesse (il m’arrive souvent de le modifier en cours d’écriture), mais à la fin, il fait généralement une quinzaine de pages.

Et c’est là que j’utilise un petit secret de fabrication : un code couleur qui me permet de visualiser d’un coup d’œil le point de vue narratif de chaque chapitre (selon le personnage mis en avant). C’est un outil redoutablement efficace pour repérer les déséquilibres dans la construction du récit.

Allez, on est en confidence : voici donc ce que ça donne, une fois le plan terminé et affiché sur mon écran (oui, j’affiche tout d’un coup, en tout petit, et je recule pour avoir une vue d’ensemble). Voilà. Ça ressemble à ça — oui, je sais, j’ai flouté… C’est mon prochain roman, petits malins ! Là, il s’agit des six dernières pages de mon synopsis. Bon, ok, là, c’est un mauvais exemple, parce qu’on voit un certain déséquilibre avec la partie en rouge, isolée. C’est normal, c’est le seul chapitre vu à travers le regard du méchant ! Mais vous voyez l’idée, n’est-ce pas ?

Et ne le répétez à personne, hein ? C’est l’un de mes petits secrets d’écriture. J’en partage quelques autres dans la rubrique Conseils d’écriture sur mon site. Allez jeter un œil si ça vous intéresse — c’est gratuit, et c’est fait pour ça.

Confidence Livresque 14 : Confidence pour confidences…

Vous êtes nombreux à me demander une Confidence Livresque à propos de mon roman J’irai tuer pour vous. Je sais qu’il figure, aux côtés de Nous rêvions juste de liberté, parmi vos petits chouchous – et les miens aussi. Mais en parler n’est pas simple pour moi…
D’une certaine manière, ce livre est déjà une immense confidence. Pas la mienne, mais celle d’un ami très cher, un frère de cœur, que j’ai appelé “Marc Masson” dans le roman. Il m’a fallu des années d’insistance pour qu’il accepte que je raconte son histoire incroyable. Pour moi, cette histoire devait être racontée. Nous avions besoin de la connaître. Parce qu’elle dit beaucoup de choses sur nos rapports avec ce qu’on appelle la “raison d’État”. Il a fini par dire oui, à condition de changer quelques noms et détails… Ce que j’ai fait.
J’ai souvent évoqué les circonstances dramatiques dans lesquelles s’est déroulée la rédaction de ce roman. Après m’avoir confié pendant des mois les moindres détails de sa vie, enregistrés sur un petit dictaphone, ce bougre d’andouille a eu la mauvaise idée de tomber gravement malade. Et, quelques mois plus tard, il est parti. Ce gaillard immortel, qui avait traversé tant d’épreuves, survécu à tant de drames, a fini par se laisser emporter par ce putain de crabe sa mère.
Je ne saurai jamais s’il a accepté de me livrer son histoire parce qu’il sentait la fin approcher, s’il voulait que ses enfants connaissent ce pan caché de sa vie. Peut-être… Rien que de vous l’écrire, je vous l’avoue, réveille de douloureux souvenirs. Tendres, certes, mais douloureux.
Mon ami est mort à l’hôpital, entouré de sa famille, de moi et d’un autre frère de cœur. Il n’avait lu qu’une trentaine de pages du roman, alors inachevé. J’ai eu énormément de mal à reprendre l’écriture après ça. Pour tout vous dire, j’ai même failli abandonner. Mais j’ai fini par me dire que je le devais à ses enfants – que je considère aujourd’hui un peu comme mes filleuls. Alors j’ai continué. Et je l’ai terminé.
J’ai écrit une trentaine de romans dans ma vie. Celui-ci est le seul que j’ai rédigé dans la douleur. Pour moi, écrire doit toujours se faire dans la joie. Mais là, chaque ligne m’a coûté. Chaque journée passée devant l’écran s’est avérée une épreuve, allongeant mon deuil… Vous comprendrez donc que j’aie du mal à en parler légèrement, à en rire comme je peux le faire avec d’autres romans…
Il n’y a pas vraiment d’anecdote cocasse autour de ce livre. Il existe. J’en suis fier. Je l’aime. Mais j’étais soulagé de l’avoir terminé, et de pouvoir ensuite me consacrer à des récits plus légers. Je crois que c’est le seul de mes romans que je n’ai jamais relu après sa sortie.

Bon… J’ai cassé l’ambiance, là. Allez ! Il y en a bien une, d’anecdote amusante. Il faut bien qu’on rigole un peu, quand même, hein ? La vie est un cabaret !

Donc. Le roman se déroule dans les années 1980, à une époque où le terrorisme fait rage à Paris, et se situe en plein cœur des services secrets, entre Service Action, DGSE et DST.
Un jour, lors d’une séance de dédicaces dans une grande ville, je remarque un homme d’environ soixante-dix ans. Il fait la queue comme tout le monde… sauf qu’il quitte régulièrement sa place pour se remettre derrière. Bizarre. Très vite, je comprends qu’il veut absolument passer en dernier. Pour avoir le temps de me parler, sans doute. Après tout, vous êtes souvent bizarres, hein, pendant les séances de dédicaces !
Bref, une bonne heure plus tard, il n’y a plus personne, c’est enfin son tour. Il s’avance, me tend un exemplaire de J’irai tuer pour vous, et me demande :
— Vous savez qui je suis ?
— Euh… non.
— Page XXX. Dans la voiture ? Celui qui conduit ? C’était moi.
Je reste bouche bée. Devant moi se tient un ancien haut gradé de la DST.
— Ah. Bonjour, monsieur… Ça se passe bien, la retraite ?
— Le dialogue, dans cette scène… Mot pour mot, c’est ce qu’on s’est dit, ce jour-là !
— Ah, ben… oui… forcément.
— On était trois dans la bagnole.
— Voilà, voilà… Belle bagnole, hein ?
— Vous savez que ça relève du secret-défense, ce genre de choses ?
— Ah bon ? Oh… si peu… Y’a prescription, non ? Vous voulez un Dragibus ?
(oui, mes lecteurs savent qu’il faut toujours m’apporter des Dragibus en dédicace, merci de noter)
— Comment avez-vous pu savoir aussi précisément ce qu’on s’est dit dans la bagnole ?
Je balbutie. Il éclate de rire, me fait un clin d’œil.
— Allez… Je veux bien une dédicace ! Pour une fois qu’un polar sur les services ne dit pas trop de conneries…
— Euh… Avec plaisir. Vous êtes sûr que vous voulez pas un Dragibus ?
Je m’essuie le front, lui signe son livre et le regarde partir avec soulagement.
Vive la France, vive la République !

Confidence Livresque 13 : Mon éditeur est fou !

Il faut que je vous parle un peu de mon éditeur. S’il a depuis pris sa retraite, Bernard Fixot, fondateur des éditions XO, est bel et bien l’homme à l’origine de mon arrivée dans cette maison d’édition pour le moins singulière et je lui serai à jamais reconnaissant de m’avoir ouvert les portes de ce drôle d’endroit qui est devenu mon nouveau refuge littéraire (depuis 2019). Sa vision est aujourd’hui portée avec brio par la discrète mais redoutable Édith Leblond — mais ça, je vous le raconterai une autre fois…

D’abord, un aperçu de l’homme : Bernard, qui a grandi à Arcueil, tout près de chez moi, était un passionné de lecture dès l’enfance, presque maladif, comme on dit. Ainsi, quittant le lycée prématurément pour se lancer bille en tête dans les métiers du livre, il est entré dans le monde de l’édition avec un seul diplôme en poche : le certificat d’études primaires.

De magasinier chez Hachette à représentant chez Gallimard, il a gravi tous les échelons, un à un, incarnant mieux que quiconque le mythe du self-made man, jusqu’à devenir l’un des plus grands éditeurs nationaux, en dirigeant notamment les éditions Robert Laffont… avant de fonder, en 1999, sa propre maison, donc : XO.

Son idée à l’époque ? Révolutionnaire ! Au lieu de publier comme tout le monde quarante titres par mois dont les trois quarts finissent au pilon, il décide de ne publier qu’une quinzaine de romans par an, pour concentrer tous les efforts de son équipe sur chacun d’eux. Garantir à ses auteurs que tout sera fait pour que leurs livres puissent rencontrer leurs lecteurs. Le risque est grand : si un livre ne marche pas, il n’y en a pas 39 autres le même mois pour équilibrer les comptes…

Résultat ? Sans appel : en plus de mettre fin à l’aberration écologique qui consiste à imprimer à tout va sans se soucier du pilon, Fixot révolutionne l’édition. La très grande majorité des livres publiés chez lui deviennent des best-sellers, certains atteignant même des sommets inédits — comme ceux d’un certain Guillaume Musso, qu’il a révélé (après avoir révélé Marc Levy chez Robert Laffont, soit dit en passant…).

Mais là n’est pas son seul secret. Et c’est là que je veux en venir : ce type est fou. Dans le bon sens du terme, bien sûr. Et j’en ai une preuve irréfutable.

Juste avant la publication de mon tout premier roman chez lui, Le Loup des Cordeliers, tout se déroule comme prévu. Je rends mon manuscrit en juin (j’étais encore à l’heure, à l’époque…). La formidable Sarah Hirsch travaille dessus avec moi et Bernard Fixot, fidèle à lui-même, donne aussi son avis. Il m’invite à réécrire tel passage, à couper ici, là, et encore un peu là. Je l’écoute — et je fais bien (le recul me permet de le dire, il a toujours raison). Son exigence est celle d’un vrai lecteur. Le slogan de la maison, Lire pour le plaisir, ce n’est pas du marketing. C’est un credo.

Je termine mes dernières corrections, et l’été passe. Les épreuves sont envoyées aux journalistes, la fabrication s’active, l’impression est lancée, et des milliers d’exemplaires arrivent chez le diffuseur.

Ainsi, nous voilà début octobre. Trois semaines avant la sortie. Tout est prêt. Je piaffe d’impatience. Et là, soudain, mon téléphone sonne :

— Allô, Henri, c’est Bernard. Dis-moi, mon pote (oui, il aime bien me parler comme ça), plus je réfléchis, plus je me dis que Gabriel Joly, comme nom, c’est pas terrible. Joly ! Tu trouves pas que ça fait un peu neuneu ?

— Euh… Je sais pas, Bernard… Euh… De toute façon, c’est trop tard. Le livre est imprimé, là, et il est en librairie dans quelques jours…

— Oui, oh, ça, c’est pas grave ! Si on trouve un nom un peu mieux, c’est pas grave, je réimprime.

Si, si. Je vous jure. Il était sérieux. Et si j’avais dit oui, je suis certain qu’il l’aurait fait.

Parce que ce type est fou. Parce que ce type est prêt à tout pour donner toutes leurs chances aux livres qu’il publie. Parce que ce type est génial, et qu’il fait ce que tous les autres éditeurs ne font plus : il prend des risques, et il joue tout à chaque coup. Il est, en quelque sorte, l’éditeur dont rêvent tous les écrivains.

Au final, l’ayant convaincu que le nom de mon héros n’était pas une si mauvaise idée (au grand soulagement de son équipe…), Gabriel est resté Joly. Et, ouf ! Il a rencontré le succès.

Quelques mois plus tard, Bernard m’a confié, sourire en coin :

— T’avais raison. Je m’y suis fait. C’est pas mal, comme nom, finalement, Joly. Après tout, ça lui va bien, il est un peu neuneu, ton Gabriel.

Bernard Fixot fait partie de ces rencontres qui changent une vie. Et, depuis mon petit bureau, je lui adresse aujourd’hui mes pensées les plus affectueuses — et ma reconnaissance éternelle.

Confidence Livresque 12 : Renseignements généraux.

Comme toujours lorsque je me lance dans l’élaboration d’un roman, le jour où j’ai commencé à travailler sur Le Rasoir d’Ockham, j’ai entrepris de me documenter sur le métier de mon héros, Ari Mackenzie, à savoir : le métier d’analyste au sein de ce qu’on appelait à l’époque les Renseignements Généraux (aujourd’hui la DGSI)… C’était mon premier roman dans l’univers des services secrets et, comme je n’y connaissais pas grand’chose, il a fallu aller loin ! Alors moi, bille en tête, et comme je le faisais toujours, j’ai décidé d’aller chercher les infos à la source. J’ai décroché mon téléphone, et sans me dégonfler j’ai appelé le standard des RG ! Oui.

Imaginez la scène :

— Bonjour, ici Henri Lœvenbruck. Je suis écrivain et j’ai besoin d’informations sur vos services. Pourriez-vous me passer quelqu’un en charge de la communication ?
— Euh (long silence)… Ne quittez pas.

Après une attente musicale quelque peu répétitive, mais guère digne de Philip Glass, une nouvelle voix, masculine cette fois, me répond et me demande comment on peut m’aider. Je lui explique donc que je suis un romancier très très talentueux, hyper connu, vachement sympa, méticuleux, et que je suis en train d’écrire un roman dont le héros sera analyste aux RG, et que donc j’ai besoin de savoir un peu en quoi consiste ce métier, comment ça se passe, au quotidien, tout ça, tout ça… Et là, je vous le promets, le type me dit :

— Très bien. Je me renseigne sur vous et je vous rappelle.

Véridique. « Je me renseigne sur vous ». En gros, je dois être le seul citoyen Français assez débile pour appeler lui-même les RG et les inciter à faire une enquête à son sujet !

Quoi qu’il en soit, quelques jours plus tard, le type me rappelle (qu’il soit ici remercié), et me dit :

— Bien. Je me suis renseigné.
— Ah. Super…
— Vous avez deux choix. Soit vous nous faites parvenir un courrier, que je fais remonter à la hiérarchie, et vous aurez peut-être une réponse dans quelques mois, soit on se retrouve demain matin dans un café et je vous dis en off ce que je peux vous dire.

Encore une fois, je vous promets, tout ceci est véridique ! J’espère d’ailleurs que l’officier en question ne m’en voudra pas de raconter ça, s’il me lit encore… C’était il y a vingt ans, il y a prescription !

Alors évidemment, moi, pas fou, j’ai choisi la deuxième solution, et j’ai retrouvé le monsieur dans un café parisien le lendemain matin. Il ne m’a, bien sûr, rien dit de très confidentiel, mais simplement décrit le quotidien de ses collègues, leur méthodologie, l’ambiance dans les couloirs, etc. Ce dont j’avais besoin, en somme. Mais ce qui est drôle, c’est que dès sa première réponse, le gaillard s’est amusé à me mettre au parfum :

— Vous savez, monsieur Loevenbruck, un analyste aux RG, ça ne roule pas sur l’or, hein, faut pas croire ! C’est pas James Bond ! Avec le salaire qu’il touche, votre héros, il ne pourrait pas rouler… je sais pas, moi, tiens, en Porsche, par exemple (oui, j’avais une vieille Porsche, à l’époque, ça va, crise de la quarantaine, tout ça…). Il ne pourrait pas habiter un joli pavillon de 200m2 dans la banlieue parisienne et partir en vacances au Brésil…

Et ce faisant, il venait de me montrer qu’en effet, il s’était « renseigné sur moi » ! Ce petit malin s’est amusé à glisser dans la conversation de nombreux détails de ma vie privée, pour me montrer, sans doute, l’irréprochable efficacité de nos services !

Je l’avais bien cherché.

Vive la République, vive la France !

Confidence Livresque 11 : Récif

Dans Les Enquêtes de Gabriel Joly, les amis du héros sont presque tous des figures historiques authentiques de la Révolution française : son oncle Cadet de Vaux, les avocats Danton et Desmoulins, l’intrépide Terwagne (dite Théroigne de Méricourt), l’imprimeur Momoro ou encore l’écrivain Louis-Sébastien Mercier. Tous, sauf un : le pirate Abderrahman Benaïcha, dit… Récif !

Mais Récif est-il vraiment un personnage fictif ? Eh bien, à vrai dire, pas tout à fait…

En effet, pour imaginer cet ancien pirate salétin (c’est-à-dire venu de la République de Salé, cette cité-État corsaire établie sur la côte atlantique du Maroc, face à l’actuelle Rabat), je me suis inspiré directement d’un ami très cher, et de longue date. Un homme dont le surnom officiel, Reef, est justement la traduction anglaise de “Récif”, et dont les ancêtres ne sont pas très éloignés des authentiques pirates de la République du Bouregreg, tel le célèbre Abdellah Benaïcha, dit « Benache ». Plus encore : j’ai même connu cet ami à une époque où il vivait sur une péniche, au milieu de cette communauté qu’on surnomme encore… les pirates !

S’il est un être qui incarne l’idée que je me fais d’un pirate des temps modernes, c’est bien cet inénarrable gaillard, bien connu du milieu des motards sauvages (auxquels les Renégats de la série adressent évidemment un autre clin d’œil affectueux) : un homme libre, entier, loyal, un brin filou, mais toujours avec panache ! Comme Gabriel avec Récif, j’ai passé avec lui d’innombrables soirées à refaire le monde, à débattre de politique, de philosophie, d’humanisme, de littérature, et ses analyses, souvent inattendues, m’ont plus d’une fois forcé à sortir de mes certitudes, à remettre en question mes réflexes un brin petit bourgeois… Comme Gabriel, en somme !

Le personnage de Récif lui doit donc bien plus que son surnom : il lui doit son âme ! Alors qu’il soit ici remercié, comme il se doit – à la manière des pirates : avec un grand salut fraternel, et peut-être un peu de rhum ! À l’abordage !

Confidence Livresque 10 : Une couverture échangiste !

Vous vous souvenez que je vous ai raconté, dans une précédente Confidence, avoir envisagé de publier La Moïra sous un pseudonyme féminin ? Eh bien, figurez-vous que ce n’est pas la seule anecdote savoureuse à ce sujet…
À l’époque, le roman devait donc paraître aux éditions Mnémos, qui avaient demandé à la formidable Florence Magnin d’en réaliser la couverture. Pour jouer le jeu, l’éditeur lui avait donc envoyé le manuscrit du premier tome, La Louve et l’enfant, en précisant qu’il s’agissait du premier roman d’une jeune auteure irlandaise : la fameuse Shawna McCalion (cf. Confidence #02). C’est ainsi qu’en plus d’une jolie peinture, j’ai reçu l’un des plus beaux compliments de ma carrière. En rendant son illustration, Florence avait glissé ce petit mot à l’éditeur : « C’est pas mal, et on voit bien que c’est écrit par une nana ! » Héhé. J’étais drôlement fier — moi qui avais tout fait pour !
Mais ce n’est pas tout.
Vous le savez sans doute, le roman a finalement été publié — sous mon nom — chez un autre éditeur, Bragelonne, qui a fait réaliser une nouvelle couverture par le non moins talentueux Philippe Munch. De son côté, pour ne pas gâcher le superbe travail de Florence Magnin, Mnémos a décidé de recycler l’illustration… sur un autre livre !
C’est ainsi qu’Isabelle Pernot a découvert un beau jour la couverture de son roman “Au nom de la magie”, sans jamais vraiment comprendre pourquoi s’y trouvaient une jeune fille brune, un nain… et une louve blanche !
Bref : pardon, Isabelle, et je t’embrasse affectueusement si tu passes par ici.

Voici les deux couvertures, côte à côte (à l’époque, moins connu, mon nom prenait moins de place sur les couvertures 😂) 👇

Confidence Livresque 09 : American Rhapsody…

Il est temps de vous parler de mon prochain roman… Non, pas Le Fantôme de Versailles, quatrième et ultime volet des Enquêtes de Gabriel Joly, qui paraîtra à la rentrée. Je veux parler du suivant. Celui de 2026, qui m’occupe l’esprit et les journées depuis près d’un an, et pour lequel je me documente sans relâche.

Vous le savez, j’ai un goût très prononcé pour les grands écarts — de genre, d’époque, de ton. Ce projet ne fait pas exception. L’action se déroule dans les années 1880, entre la France et les États-Unis, et l’intrigue mêlera l’élan romanesque du western à l’atmosphère trouble du roman noir.

J’y raconterai l’histoire, authentique, de Pierre Wibaux. Originaire de Roubaix, héritier d’une prospère filature, il décide un jour, sur un coup de tête, de tout quitter pour partir à la conquête de l’Ouest. Direction : le Montana. Là-bas, après mille péripéties, le Français devient l’un des plus grands éleveurs de bétail de la région. Sa réussite est telle que la ville où il s’installe est rebaptisée Wibaux en son honneur… et, plus tard, ce sera tout le comté qui portera son nom (vous pouvez chercher…).

Bien sûr, pour les besoins du récit, je prendrai quelques libertés romanesques. Mais, comme toujours, je m’attacherai à rester fidèle à l’esprit et à la richesse de la véritable histoire — et celle-ci, croyez-moi, ne manque pas de rebondissements. J’ai la chance de pouvoir m’appuyer sur des sources nombreuses et précises, notamment grâce à l’aide précieuse de l’un de ses descendants, le cher Loïc Wibaux, ainsi que de plusieurs institutions du Montana qui m’ont généreusement ouvert leurs archives. Et pour mieux ressentir, de l’intérieur, ce que pouvait être la vie de ces pionniers, je me prépare même à passer une semaine en septembre dans un ranch, perché sur les hauteurs du plateau des Mille Vaches. Une immersion grandeur nature !

Pour l’instant, le titre du livre est American Rhapsody. Il changera peut-être… ou pas.

Mais une chose est certaine : vous comprenez maintenant un peu mieux d’où vient le nom de mon cheval, n’est-ce pas ?

Confidence Livresque 08 : Un artiste discret…

En 2015, l’un de mes amis a été envoyé faire un séjour forcé entre les quatre murs d’une vilaine cellule… Chez nous, la tradition veut qu’on prenne régulièrement le temps d’écrire à ceux qui sont privés de liberté, et c’est ainsi qu’a commencé une longue relation épistolaire avec ce gaillard si singulier. Paradoxalement, c’est dans ce contexte d’enfermement que, de lettre en lettre, de confidence en confidence, se sont tissés les liens les plus forts de notre amitié, laquelle est devenue aujourd’hui l’une des plus chères qui me soient. Comme, pour tromper son ennui, j’avais pris l’habitude de lui envoyer des livres – parfois en double exemplaire parce qu’il faut croire qu’une partie des employés en milieu carcéral a la fâcheuse habitude de se servir au passage – je lui ai évidemment fait parvenir “Nous rêvions juste de liberté” au moment de sa publication, un livre qui, naturellement, allait lui parler, non seulement parce que rêver de liberté, on ne le fait jamais aussi bien que quand on la perd, mais aussi parce que l’ami en question connaît fort bien la vie des motards sauvages… Le livre, je crois, a fait mouche.

Un an plus tard, quand enfin il est sorti du bazar, je suis allé le voir chez lui, dans son Grand-Est chéri, où nous avons passé une soirée formidable, faite de soulagement, de joie et d’espoir.

Soudain, je remarque une petite peinture sur un mur, qui attire mon regard. Qui m’hypnotise, presque. Je demande à mon ami d’où elle vient, et alors il m’apprend qu’il en est l’auteur, qu’il l’a peinte, justement, dans sa cellule ! Je tombe des nues, ignorant que mon ami peignait, et, pour tout dire, je suis bouleversé. Je lui dis que c’est dommage, parce que sa peinture aurait fait une couverture extraordinaire pour “Nous rêvions juste de liberté”… Et voilà que ce pirate au grand cœur se lève, décroche la peinture du mur, me la tend et me dit : “ Tiens, elle est à toi ”. Gêné, je commence par refuser, mais il insiste, et, soyons honnête, quand ce type insiste, on ne refuse pas trop longtemps !

Depuis ce jour, cette peinture trône sur mon bureau, elle est là, à côté de moi, et il n’est pas un seul livre que j’aie écrit sans que mes yeux s’y posent, y cherchant l’inspiration ou la motivation.

Dix ans plus tard, quand l’idée de “Pour ne rien regretter” m’est venue, comme je vous le racontais dans ma précédente Confidence, son intrigue s’est imposée à moi comme une évidence. Mais ce n’était pas la seule. Quand j’ai présenté l’histoire à mon éditeur, je lui ai dit que la couverture de ce livre existait déjà, qu’elle trônait sur mon bureau, et que rien au monde ne pourrait me rendre plus heureux que de le voir contacter mon ami Franco Minotti afin d’en acquérir les droits de reproduction. Vous connaissez la suite.

Mon ami, mon frère, sois ici remercié. Nous sommes deux électrons libres dont les routes, aussi différentes soient-elles, se croiseront à jamais.